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13 juillet 2013
La traversée
Auteur // Mylène Paquette

Journal de bord – La traversée de 2013

C’EST UN DÉPART — PREMIÈRE SEMAINE

En quelques jours à peine, je me sens déjà chez moi. Ici, dans cet univers aussi hostile, la vie semble crue et sans artifice. Les tout premiers jours de cette traversée m’ont fait subir un mal de mer impitoyable, il aura au moins eu pour effet de me permettre une coupure franche avec la vie sur terre. Ces deux jours de malaise m’ont permis de m’acclimater à ce nouveau milieu. Tel un rite de passage, j’ai enfin gagné la mer !

J’ai rencontré différentes conditions durant ma première semaine de navigation. Certaines m’ont quelquefois obligée à rester bien à l’abri à l’intérieur de mon habitacle. J’ai dû utiliser l’ancre parachute pour conserver ma position face à des vents contraires. Après avoir répété la procédure, déployer et retirer le volumineux parachute relève maintenant d’un jeu d’enfant.

Je prends des mesures acoustiques de l’océan. Lorsque les conditions le permettent, je mets en place un hydrophone pour enregistrer l’océan. Avec mes écouteurs, je suis toujours ébahie par la quantité de sons qui s’offrent à mes oreilles. La faune est omniprésente et les sons qu’elle crée forment une surprenante mélodie.

Dimanche dernier, c’est justement la présence d’un rorqual qui m’a réveillée. Son souffle a résonné jusqu’à l’intérieur de ma cabine et dans mes écouteurs laissés en place pour la nuit. Les belles conditions de ce dimanche m’ont garanti une belle avancée vers l’Est. Cette journée a été marquée de plusieurs rencontres : dauphins, rorquals et baleines bleues sont venus tour à tour me rendre visite.

Après avoir cumulé près de 165 milles, j’espère maintenant avoir des conditions favorables à la prochaine étape : rejoindre le courant chaud du Gulf Stream. À bientôt !

grosse vague traversée de l'océan à la rame Mylène Paquette

Grosses vagues — Jour 39

J’étais pieds nus. Habillée jusqu’au cou de ma salopette, mon éternel bonnet rose et mon énorme ciré, seulement mes mains et mes pieds étaient exposés à l’eau salée. J’adore sentir le sable sur le pont sous la plante de mes pieds, j’aime marcher sur les écoutilles et sentir les petites poignées et leurs aspérités inconfortables. Je connais mon bateau par cœur, même par mes pieds. Rester pieds nus me permet de demeurer en contact avec lui et savoir exactement où je suis, sans voir, sans regarder, comme la géographie d’un village que l’on connaît par cœur.

C’était comme si je n’étais pas seule. Cela n’a duré qu’un bref moment, comme si quelqu’un m’avait touché l’épaule pour me dire de regarder. Avant même de lever les yeux, je me suis agrippée au garde-fou, c’est là que j’ai vu le mur avancer. Parallèle au bateau, la vague était beaucoup plus grande que moi, car j’avais l’impression de regarder au ciel. Droite, debout, j’ai pris mon souffle. Rien à faire, que penser. Tout s’est passé très lentement. J’ai vu la vague déferler dans mes rames attachées sur le côté et mon flanc tribord disparaître sous l’épaisse écume, j’ai entendu le crépitement de l’eau sous le choc.

J’ai regardé mes pieds. Je les ai vus perdre le sol pour n’avoir que l’océan pour plancher pendant que l’eau montait à bâbord, très doucement. Béate devant le spectacle, je me suis agrippée, j’observais mon bateau réagir. Toutefois, stable, il abdiquait sous l’énorme quantité d’eau qui montait. Pendant un instant, l’eau envahit toute la surface entre mes deux cabines, mon terrain de jeu. Mon petit habitacle, lui, la cabine arrière creusait sous une épaisse couche de mer. Nous calions littéralement.

Non, nous n’avons pas chaviré malgré les conditions qui l’auraient permis ce jour-là. Mon Hermel est par contre resté secoué même quelques jours après l’incident que rien n’avait prédit. Une sorte de clin d’œil à un invité qui prend trop ses aises, la mer m’a donné un avis. Elle m’a rappelé qu’ici, rien n’est immuable et que ses nouvelles petites manières à mon endroit ne sauront durer. Ici, sur les bancs, c’est encore l’océan.

Hauts-Fonds de Terre-Neuve — JOUR 47

Après avoir mis le cap vers l’est dans ma voie, je progresse enfin dans la bonne direction. Mes doutes, gros comme les grands bancs, me repoussaient, j’avais horreur de passer par ici. Les seules images qui me venaient en tête étaient des contraintes de courants, de la brume, des zones de clapotis et des eaux tumultueuses.

Depuis quelques heures, je suis sur les hauts-fonds et à peine un courant contraire se présente à moi, rien d’inquiétant. Heureusement, les conditions annoncées cette semaine me feront passer la zone rapidement et je pourrai me remettre à valser avec le courant chaud vers l’Europe.

« Un fond marin au paysage lunaire »

Depuis quelque temps, je n’apercevais plus rien au cadran m’indiquant la profondeur de l’eau. J’y vois aujourd’hui des chiffres qui m’annoncent des fonds plus élevés… 331 pieds. J’imagine un fond marin au paysage lunaire déserté par la pêche intensive, où le passage trop fréquent des chalutiers a fait fuir la faune et détruit la flore abondante d’autrefois. J’imagine un mont sous-marin avec un cimetière d’épaves auxquelles la mer n’aura octroyé aucun droit de passage.

« L’océan est toujours là, prêt à bondir… »

Les jours de beau temps me permettent plus de liberté. Pour la première fois depuis le début de mon aventure, je me sens libre, affranchie. J’ai le choix. Je ne fais plus que subir et m’adapter constamment aux éléments qui frappent, mais je les adapte plutôt à moi. Malgré ma force de caractère, je sais qu’à l’intérieur de moi ma confiance est délicate, fragilisée.

J’ai déjà l’impression d’avoir acquis quelque chose. Je sais que je dois continuer de faire de la place au doute, car la routine a ses travers que le parcours insécurisant n’avait pas jusqu’ici. Sournoise, la routine m’apporte bien du confort, mais elle efface aussi certains soupçons de mon esprit. Ma méfiance me permet d’être toujours à l’affût. Même si l’habitude s’installe, l’océan est toujours là, prêt à bondir… Et encore une fois je dois me rappeler qu’ici, ce n’est pas chez moi.

Loops & Baleines — JOUR 51 à 57

Mercredi, j’ai eu une demi-journée de rame extrêmement plate. J’ai enlevé l’entre-tente pour commencer à ramer. J’ai passé une partie de la journée aux avirons. C’était maussade dehors. Ma journée s’est résumée à un dauphin, deux oiseaux et un sac de chips. La seule bonne chose qui m’est arrivée dans la journée, c’est que j’ai trouvé un sac de chips. Alors, c’était le party dans ma cabine. Je n’ai presque pas progressé, mais j’ai beaucoup ramé.

Jeudi, c’était de loin l’une des meilleures journées de la traversée. C’était extraordinaire. J’avançais super vite. J’ai beaucoup ramé. J’ai fait environ 22 milles nautiques durant la journée.

 

globicéphales Mylene Paquette

J’ai eu la visite d’une bonne dizaine de globicéphales pendant que je nettoyais le bateau. Pendant ma pause de l’après-midi, j’ai eu un beau quarante minutes avec ces baleines, d’énormes bélugas noirs avec un aileron sur le dos et des nageoires assez allongées devant. C’est une baleine à dents. Il y avait une famille avec un bébé. Elles sont restées autour de moi. Des fois, c’est un peu épeurant, parce que les baleines viennent proches. Après vingt minutes, je les ai observées. Elles ont fait le tour de l’embarcation plusieurs fois. C’était extraordinaire, même un peu épeurant des fois. On dirait qu’elles faisaient des caucus et revenaient près de moi et faisaient des bulles sous mon bateau. C’était impressionnant de voir des baleines de cette taille-là foncer sur moi très rapidement. Ça m’a toujours un peu fait peur. Mais elles sont tellement mignonnes. Je pense que c’est mon animal préféré parce que les dauphins sont trop rapides. Ils viennent et repartent parce que je ne vais pas assez vite. Ils sont impatients. Les globicéphales par contre restent longtemps.

Aujourd’hui, j’ai pris mon bain sur le pont. Ça faisait longtemps. Je ne veux pas vous dire ça faisait combien de temps parce que vous allez trouver ça horrible. C’était vraiment agréable de se laver. Je n’avais jamais de conditions pour le faire. Je suis toujours en train d’avoir des dépressions, il y a toujours des vents contraires et je suis toujours enfermée dans ma cabine. Alors c’était excellent de prendre son bain, de brosser mes cheveux et de laver le bateau un peu.

La plus grosse dépression que je n’ai jamais eue depuis le début de la traverse se prépare. J’ai donc préparé l’embarcation à la recevoir. J’attends, je pense, 45 nœuds de vent. C’est comme si je suis tellement habituée à une dépression, c’est normal d’être dans des vents aussi intenses. Alors j’ai fait du home staging avec ma cabine : j’ai tout nettoyé, j’ai fermé les petites sacoches de chaque côté, j’ai enlevé tout ce qui était un peu trop personnel, les petits bidules, les petits toutous, les petits trucs, des cadeaux, les choses qui traînaient sur la tablette de mon panneau électrique et j’ai tout rangé dans les étuis et les compartiments étanches. J’ai fait de l’eau et j’ai tout préparé l’embarcation. Ce qui est très malheureux par contre, c’est que je n’ai pas pu emmagasiner assez d’électricité parce qu’hier, c’était le brouillard intense et mes panneaux solaires n’ont pas fourni et il n’y avait presque pas de vent. Alors mon éolienne et les panneaux n’ont pas chargé suffisamment. Donc, je suis à 11,8 volts présentement.

Mylène Paquette

AUTRICE // Mylène Paquette

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