Mylène Paquette
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Author : NASA/Goddard Space Flight Center

Author : NASA/Goddard Space Flight Center

The crossing

Halifax,
Canada
Let’s go!

1st week

« En quelques jours à peine, je me sens déjà chez moi. Ici, dans cet univers aussi hostile, la vie semble crue et sans artifices. Les tout premiers jours de cette traversée m'ont fait subir un mal de mer impitoyable, il aura au moins eu pour effet de me permettre une coupure franche avec la vie sur terre. Ces deux jours de malaises m'ont permis de m'acclimater à ce nouveau milieu. Tel un rite de passage, j'ai enfin gagné la mer !

« J'ai rencontré différentes conditions durant ma première semaine de navigation. Certaines m'ont quelquefois obligée à rester bien à l'abri à l'intérieur de mon habitacle. J'ai dû utiliser l'ancre parachute pour conserver ma position face à des vents contraires. Après avoir répété la procédure, déployer et retirer le volumineux parachute relève maintenant d'un jeu d'enfant.

« Je prends des mesures acoustiques de l'océan. Lorsque les conditions le permettent, je mets en place un hydrophone pour enregistrer l'océan. Avec mes écouteurs, je suis toujours ébahie par la quantité des sons qui s'offrent à mes oreilles. La faune est omniprésente et les sons qu'elle crée forment une surprenante mélodie.

« Dimanche dernier, c'est justement la présence d'un rorqual qui m'a réveillée. Son souffle a résonné jusqu'à l'intérieur de ma cabine et dans mes écouteurs laissés en place pour la nuit. Les belles conditions de ce dimanche m'ont garanti une belle avancée vers l'Est. Cette journée a été marquée de plusieurs rencontres : dauphins, rorquals et baleines bleues sont venus tour à tour me rendre visite.

« Après avoir cumulé près de 165 milles, j'espère maintenant avoir des conditions favorables à la prochaine étape : rejoindre le courant chaud du Gulf Stream. À bientôt ! »

 
Let's go!
Let's go
Le pont de l'intérieur
Departure
Big
waves
Day 39

Big waves

J'étais pieds nus. Habillée jusqu'au cou de ma salopette, mon éternel bonnet rose et mon énorme ciré, seulement les mains et les pieds étaient exposés à l'eau salée. J'adore sentir le sable sur le pont sous la plante de mes pieds, j'aime marcher sur les écoutilles et sentir les petites poignées et leurs aspérités inconfortables. Je connais mon bateau par coeur, même par mes pieds. Rester pieds nus me permet de demeurer en contact avec lui et savoir exactement où je suis, sans voir, sans regarder, comme la géographie d'un village que l'on connait par coeur.

C'était comme si je n'étais pas seule. cela n'a duré qu'un bref moment, comme si quelqu'un m'avait touché l'épaule pour me dire de regarder. Avant même de lever les yeux, je me suis agrippée au garde-fou, c'est là que j'ai vu le mur avancer. Parallèle au bateau, la vague était beaucoup plus grande que moi car j'avais l'impression de regarder au ciel. Droite, débout, j'ai pris mon souffle. Rien à faire, que penser. Tout s'est passé très lentement. J'ai vu la vague déferler dans mes rames attachées sur le coté et mon flanc tribord disparaitre sous l'épaisse écume, j'ai entendu le crépitement de l'eau sous le choc.

J'ai regardé mes pieds. Je les ai vu perdre le sol pour n'avoir que l'océan pour plancher pendant que l'eau montait sur bâbord, très doucement. Béate devant le spectacle, je me suis agrippée, j'observais mon bateau réagir. Toutefois stable, il abdiquait sous l'énorme quantité d'eau qui montait. Pendant un instant, l'eau a envahi toute la surface entre mes deux cabines, mon terrain de jeu. Mon petit habitacle lui, la cabine arrière creusait sous une épaisse couche de mer. Nous calions littéralement.

Non, nous n'avons pas chaviré malgré les conditions qui l'auraient permis ce jour-là. Mon Hermel est par contre resté secoué même quelques jours après l'incident que rien n'avait prédit. Une sorte de clin d'oeil à un invité qui prend trop ses aises, la mer m'a donné un avis. Elle m'a rappelé qu'ici, rien n'est immuable et que ses nouvelles petites manières à mon endroit ne sauront durer. Ici sur les bancs, c'est encore l'océan.

 
Big waves
Big waves
Big waves
Big waves
Hauts-fonds
de Terre-Neuve
Day 47

Hauts-fonds de Terre-Neuve

Après avoir mis le cap vers l'Est dans ma voie, je progresse enfin dans la bonne direction. Mes doutes, gros comme les grands bancs, me repoussaient, j'avais horreur de passer par ici. Les seules images qui me venaient en tête étaient des contraintes de courants, de la brume, des zones de clapotis et des eaux tumultueuses.

Depuis quelques heures, je suis sur les hauts fonds et à peine un courant contraire se présente à moi, rien d'inquiétant. Heureusement, les conditions annoncées cette semaine me feront passer la zone rapidement et je pourrai me remettre à valser avec le courant chaud vers l'Europe.

« Un fond marin au paysage lunaire »

Depuis quelque temps, je n'apercevais plus rien au cadran m'indiquant la profondeur de l'eau. J'y vois aujourd'hui des chiffres qui m'annoncent des fonds plus élevés... 331 pieds. J'imagine un fond marin au paysage lunaire déserté par la pêche intensive, où le passage trop fréquent des chalutiers a fait fuir la faune et détruit la flore abondante d'autrefois. J'imagine un mont sous-marin avec un cimetière d'épaves auxquelles la mer n'aura octroyé aucun droit de passage.

« L'océan est toujours là, prêt à bondir... »

Les jours de beaux temps me permettent plus de liberté. Pour la première fois depuis le début de mon aventure, je me sens libre, affranchie. J'ai le choix. Je ne fais plus que subir et m'adapter constamment aux éléments qui frappent mais je les adapte plutôt à moi. Malgré ma force de caractère, je sais qu'à l'intérieur de moi ma confiance est délicate, fragilisée.

J'ai déjà l'impression d'avoir acquis quelque chose. Je sais que je dois continuer de faire de la place au doute car la routine a ses travers que l'insécurisant parcours jusqu'ici n'avait pas. Sournoise, la routine m'apporte bien du confort mais elle efface aussi certains soupçons de mon esprit. Ma méfiance me permet d'être toujours à l'affût. Même si l'habitude s'installe, l'océan est toujours là, prêt à bondir... Et encore une fois je dois me rappeler qu'ici, ce n'est pas chez moi.

 
Hauts-fonds de Terre-Neuve
Hauts-fonds de Terre-Neuve
Hauts-fonds de Terre-Neuve
Hauts-fonds de Terre-Neuve
Loops sur moi-même /
baleines
Day 51-57

Loops sur moi-même / baleines

Mercredi, j’ai eu une demi-journée de rame extrêmement plate. J’ai enlevé l’entre-tente pour commencer à ramer. J’ai passé une partie de la journée aux avirons. C’était maussade dehors. Ma journée s’est résumé à un dauphin, deux oiseaux et un sac de chips. La seule bonne chose qui m’est arrivée dans la journée, c’est que j’ai trouvé un sac de chips. Alors, c’était le party dans ma cabine. Je n’ai presque pas progressé, mais j’ai beaucoup ramé.

Jeudi, c’était de loin l’une des meilleures journées de la traversée. C’était extraordinaire. J’avançais super vite. J’ai beaucoup ramé. J’ai fait environ 22 milles nautiques durant la journée.

J’ai eu la visite d’une bonne dizaine globucéphales pendant que je nettoyais le bateau. Pendant ma pause de l’après-midi, j’ai eu un beau quarante minutes avec ces baleines, d’énormes belugas noirs avec un aileron sur le dos et des nageoires assez allongées devant. C’est une baleine à vent. Il y avait une famille avec un bébé. Ils sont restés autour de moi. Des fois, c’est un peu épeurant, parce que les baleines viennent proches. Après vingt minutes, je les ai observées. Ils ont fait le tour de l’embarcation plusieurs fois. C’était extraordinaire, même un peu épeurant des fois. On dirait qu’elles faisaient des caucus et revenaient près de moi et faisaient des bulles en-dessous de mon bateau. C’était impressionnant de voir des baleines de cette taille-là foncer sur moi très rapidement. Ça m’a toujours un peu fait peur. Mais elles sont tellement mignonnes. Je pense que c’est mon animal préféré parce que les dauphins sont trop rapides. Ils viennent et repartent parce que je ne vais pas assez vite. Ils sont impatients. Les globucéphales par contre restent longtemps.

Aujourd’hui, j’ai pris mon bain sur le pont. Ça faisait longtemps. Je ne veux pas vous dire ça faisait combien de temps parce que vous allez trouver cela horrible. C’était vraiment agréable de se laver. Je n’avais jamais de conditions pour le faire. Je suis toujours en train d’avoir des dépressions, il y a toujours des vents contraires et je suis toujours enfermée dans ma cabine. Alors c’était excellent de prendre son bain, de brosser mes cheveux et de laver le bateau un peu.

La plus grosse dépression que je n’ai jamais eue depuis le début de la traverse se prépare. J’ai donc préparé l’embarcation à la recevoir. J’attends, je pense, 45 noeuds de vent. C’est comme si je suis tellement habituée à une dépression, c’est normal d’être dans des vents aussi intenses. Alors jai fait du home staging avec ma cabine, j’ai tout nettoyé, j’ai fermé les petites sacoches de chaque côté, j’ai enlevé tout ce qui était un peu trop personnel, les petits bidules, les petits toutous, les petits trucs, des cadeaux, les choses qui traînaient sur la tablette de mon panneau électrique et j’ai tout rangé dans les étuis. et les compartiments étanches. J’ai fait de l’eau et j’ai tout préparé l’embarcation. Ce qui est très malheureux par contre, c’est que je n’ai pas pu emmagasiner assez d’électricité parce que hier c’était le brouillard intense et mes panneaux solaires n’ont pas fourni et il n’y avait presque pas de vent. Alors mon éolienne et les panneaux n’ont pas chargé suffisamment. Donc, je suis à 11,8 volts présentement.

 
Loops sur moi-même / baleines
Globicéphales
Humberto
1er chavirage
Day 80

Humberto - Premier chavirage

Le jour où j’ai renversé mon chocolat chaud...

Une information planait que la marée allait me laisser tranquille, l’océan se calmerait le temps d’une lecture et d’un bon chocolat chaud. Enfin, je m’installai dans mon sas, le seul endroit où je puisse avoir les cuisses plus basses que les bras, c’est-à-dire, où je puisse m’assoir presque normalement. Bien installée, je lisais mon livre préféré. À l’extérieur rageait la mer, les montagnes d’eau alignées les unes derrière les autres se secondaient et ne laissaient passer aucune goutte sans la pulvériser à quelques mètres plus loin. J’entendais le vent souffler. Je lisais calmement. Avant la nuit, toutes les précautions avaient étés prises pour que ma carène puisse voir les astres de la veille. Hermel et moi étions prêts à toute éventualité. J’étais tellement habituée à tout prévoir en cas de chavirage et sans ne jamais chavirer que cette routine était maintenant effectuée sans l’ombre d’une émotion, tel un brossage de dent que l’on effectue sans penser au plombage d’une carie potentielle.

Au milieu de ma lecture, une gorgée de chocolat chaud – encore plus savoureux parce que rationné – j’ai d’un coup aperçu mon plafond un peu trop près de mon nez, mes pieds se sont trouvés dans le filet qui fait office de dépense, mes mains ne tenaient plus ma lecture et mon chocolat mais cherchaient à me pousser contre la gravité pour reprendre ses sens. Ma tête, bien à l’abri dans son casque, était soudainement lourde et une sensation étrange s’empara d’elle comme si... tout était à l’envers!

Au moment où je reconnu être à la renverse dans le ventre de mon bateau, je cru nécessaire de revenir dans ma cabine principale et de traverser la portière en me déplaçant sur le plafond. Je sentis une douleur franche me traverser le coté gauche en traversant le col de ma porte, ma respiration était coupée. Concentrée à me déplacer sur le plafond capitonné de ma cabine, je tentais de me libérer de ce passage exigu qui sépare le sas de ma cabine, je sentis les boutons de mon panneau électrique et les bouchons rigides des fusibles sur mon dos. J'atterris sur mon lit humide, arrosé d’eau salée.

Je repris mes esprits en constatant les dégâts, mon logis était maintenant plus à l’envers qu’il ne l’aura jamais été à l’endroit; mon lit mouillé, mes matelas renversés, de l’eau un peu partout dans ma cabine; conséquence d’avoir cru bon ouvrir la ventilation. J’ai tout de suite cherché des yeux ma tasse de chocolat, heureuse de constater qu’elle en contenait toujours une bonne quantité, en savourant le réconfort d’une chaude gorgée, je souris en réalisant l’impondérable : maintenant j’étais une vraie rameuse d’océan!

 
Humberto - Premier chavirage
Humberto - Premier chavirage
Humberto - Premier chavirage
Rencontre du
Queen Mary 2
Day 83

Rencontre du Queen Mary 2

Une rencontre inespérée!

Quand je vis le petit triangle qui représentait le paquebot à l’écran, je commençais à y croire, la voix que j’entendis alors dans le radio me confirmait l’évidence. Lorsque j’aperçu le Queen Mary 2 à l’horizon, j’étais ébahie et sans voix. Il m’a fallu quelques secondes pour décrocher de mon étonnement puis me mettre à l’ouvrage. Je devais retirer mon ancre parachute des eaux au bon instant pour ne pas dériver derrière le grand paquebot mais tout de même assez rapidement pour être libre à ramer au bon moment.

Plus le navire s’approchait, plus j’en distinguais les détails et les couleurs. D’un petit point blanc qui apparut entre ciel et mer, il devint un bâtiment bien réel, face à moi. Durant toute la rencontre je partageais mes impressions à un membre de mon équipe au sol via téléphone Iridium, je lui décrivais la scène qui se déroulait devant moi. J’aperçu trois petits hommes vêtus de noir sur le pont avant, je croyais à un mirage. Mon excitation atteignait son apogée alors que je découvris que tous les passagers étaient attroupés sur le pont. « Des humains! » Ma surprise était immense, je rencontrais des gens au milieu de l’océan, c’était inespéré!

L'opération était simple mais lourde de tâche, je devais aller chercher les ballots lancés depuis la passerelle dans les eaux en mouvance près de sa majesté. Les flots ne m’offrant aucun pattern régulier ce qui m’aurait permis de bien aligner mon embarcation et de pousser dans les rames avec efficacité. D’approcher un navire de cet acabit et d’aussi près était une expérience en soi, malgré mon étonnement je devais restée concentrée sur mes ballots et les obtenir le plus rapidement possible avant qu’ils ne disparaissent entre les vagues. Durant toute la manœuvre, j’entendais les réactions et les encouragements des passagers. Témoins de cette rencontre inouïe, ils scandaient, criaient et sifflaient sans arrêt. Au moment de rejoindre les paquets, j’entendais des milliers s’exclamer de soulagement.

Se sont rencontrés sur l’océan deux bateaux bien différents. L’un des deux, le plus grand; fort, renommé et prestigieux, confortable et puissant et l’autre; petit, frêle à la merci des intempéries, volontaire, brave et patient. L’un représente le prestige et la sécurité et l’autre la fougue, le dépassement de soi, la témérité. Au milieu de l’océan, à mi-parcours entre les continents, ils se sont rencontrés avec beaucoup d’émoi et d’effervescence, cette rencontre a fait vivre des passions. Au nom des valeurs humaines, rien ne distingue les marins lorsqu’il s’agit de supporter son prochain.

Mes profonds remerciements au Queen Mary 2!

 
Queen Mary 2
Queen Mary 2
Queen Mary 2
Queen Mary 2
Plongée
Day 91

Plongée

Une plongée dans l’eau

Mon routeur m’avait dit que ce serait le bon moment. Sans vouloir me mettre de pression, il me spécifiait qu’il n’y aurait pas d’autres fenêtres propices à une plongée d’ici deux semaines et qu’après le nettoyage de coque effectué, associé aux conditions prometteuses des deux prochaines semaines, mon bateau devrait filer à de bien meilleures vitesses. J’avais trois petites heures pour me préparer au combat, procéder et m’en remettre.

J’ai horreur de l’eau. Je ne me suis jamais refusé de la fréquenter pour autant. Je me souviens avec effroi de mes premières sorties à l’aviron durant lesquelles j’avais chaviré plusieurs fois. Dans l’eau jusqu’au cou, mon skiff à la renverse sur l’épaule, l’entraîneur avait vu la peur dans mes yeux. J’étais pétrifiée devant la grandeur de ce que je voulais accomplir mais surtout devant la grandeur du bassin olympique dans lequel était plongé mon corps entier que je ne voyais plus, disparu sous cette eau brunâtre.

Avant de plonger dans l’océan, j’y plongeai seulement la tête munie de mes lunettes afin de voir si quelque chose guettait mon embarcation, car dans mon imagination, les bêtes aquatiques capables d’en finir avec moi, n’ont rien d’autre à faire que d'attendre que le buffet soit servi. À mon grand étonnement, le seul animal qui m'attendait là était mon ami poisson qui me suivait depuis une dizaine de jours.

Au-delà de l’impressionnante quantité d'anatifes collés sur ma carène, j’aperçu des dizaines de dorades coryphènes qui tournaient tout autour et des centaines de méduses se faisant bercer par la mer. Je pouvais, grâce à elles, comprendre la dimension dans laquelle je m’engageais. Les plus imposantes étaient plus près, avec leurs formes bien définies et les plus petites, pâles et embrouillées, se trouvaient à plusieurs dizaines de mètres plus loin. Elles me permettaient un indice de visibilité. Si je les voyais si bien à cette distance, gageons que je saurai apercevoir n’importe quelle ombre menaçante approcher.

Une fois sous l’eau, je passais quelques minutes à m’adapter à mon nouvel environnement, quelques souffles d’oxygène m’ont permis de m’assurer être toujours en sécurité, quelques minutes plus tard, je me concentrais pour gratter ma coque pour en arracher les anatifes. Trois plongées et moins d’une heure et le travail était réalisé.

Après ma troisième plongée, que je me suis surprise à avoir apprécié, je ressentais déjà le désir d’une dernière baignade avant de mettre les pieds sur la terre ferme et d’accrocher mes rames. Peut-être parce que la satisfaction du devoir accompli est grande devant l’immensité de l’océan. Peut-être aussi parce que je ne voudrais pas être passé par ici sans avoir pris le temps de dompter le plus gros des prédateurs, ce vieux démon qui me tenaille toujours, soit ma peur de l’eau.

 
Plongée
Plongée
Plongée
74 noeuds
Day 111

74 noeuds

Je célèbre mon anniversaire avec des vents Nord Ouest à 45-55noeuds, des rafales de 55-65noeuds et des précipitations importantes. Des vagues de 9-12mètres!!!

 
Rainy october
Chavirage
Perte de l'éolienne
November 7th

Chavirage / perte de l'éolienne

Aujourd’hui, il y avait du soleil, presque pas de vagues. C’était enfin le temps de sortir dehors. J’ai dérivé les cinq derniers jours, car les vents étaient beaucoup trop forts, les vagues étaient beaucoup trop grosses, entre 5 et 7 mètres, espacées de 5 à 10 secondes. Ça été assez difficile. La semaine passée, j’ai chaviré cinq fois. C’était de la vague très courte, à 4 secondes d’intervalle. C’était assez horrible. Aujourd’hui, c’est la première journée où je pouvais sortir sur le cockpit et redonner au bateau sa vigueur, faire le grand ménage et le remettre propre et à l’ordre. J’ai dû travailler toute la journée sur le bateau, me réorganiser et le mettre prêt pour ramer. J’ai réparé mon antenne et une rame parce que je n’en avais plus. Réparer une rame en plein milieu de l’Atlantique, c’est pas évident. Alors, demain je pourrai ramer, enfin! Aujourd’hui, grosse journée de corvées sur le Hermel.

Heille! J’ai trouvé du beurre de peanuts et du miel. Je capote! J’ai du beurre de peanuts et du miel. À moins de cinq jours de mon arrivée. Bon, j’ai pas de pain, mais c’est pas grave, j’ai quand même du beurre de peanuts et du miel. Ça fait du bien des fois de faire le ménage, je trouve des trésors.

Ma santé va bien. J’ai toujours un gros mal de tête. Vraiment, le crâne me fait énormément mal. C’est à droite, je peux exactement dire où. J’ai ça depuis mon choc à la tête de la semaine passée. J’ai vraiment mal au crâne, j’ai mal à la tête. Mais ça va de mieux en mieux.

Aujourd’hui, j’ai marché un peu sur le pont. Je peux pas croire que je vais marcher avec ça, ces jambes-là. Je sens mes jambes petites et fragiles. J’essaie de m’exercer un peu pour me préparer à marcher sur la terre ferme. Mais c’est sûr que je ne peux plus y échapper, ça va être difficile.

J’ai parlé à plusieurs écoles ce matin. J’étais vraiment contente de pouvoir m’adresser aux jeunes. Je me rends compte que ça fait vraiment du bien d’appeler les gens. Ça leur fait une surprise et ça me fait du bien à moi aussi.

 
Lorient,
FRANCE
November 12th

Ligne d'arrivée / lettre à la mer

Je ne te supplierai pas de me laisser tranquille, c’est moi qui te cherchais. Au moment d’écrire ces lignes, on se prend la tête avec une dernière querelle et comme d’habitude, c’est toi qui aura le dernier mot. J’abdique, certes, et je ne cherche pas à avoir raison. Mon ego reste à sa place, bien tapi dans le dernier recoin au sec de mon esprit.

Cher océan, ça fait maintenant quatre mois que l’on partage nos vies et déjà je dois te quitter. Je ne suis pas encore partie que je te fais déjà des promesses. Je te donne ma parole que nous allons nous retrouver. J’ai apprécié chaque moment passé en ta compagnie, mêmes les plus difficiles car ils ont su me révéler. Tu m’as permise de me découvrir, me dépasser, me surprendre et le plus important: reconnaître mon humilité. Pour chaque trésor trouvé ici, je veux te dire merci.

Tu reconnais sûrement ma voix, car près de toi j’ai crié plus d’une fois. J’ai même déjà cru crier de mes poumons mon dernier souffle, je t’ai crié d’arrêter, de me laisser tranquille, de te calmer... Malgré tout, résonnait tous les jours un éclat matinal de ma petite voix du matin, mon célèbre et traditionnel ”Hello World” depuis le pont de mon minuscule esquif.

Notre quotidien s’est construit d’horizons merveilleux, de ciels sans obstacles, d’étoiles. D’un lever de lune pleine à un autre et de tes célèbres couchers de soleil, j’ai rencontré ton âme et tes habitants, des êtres surprenants et merveilleux. Chaque jour, j’aperçus l’un d’entre eux que ce soit une baleine, d’adorables globicéphales, des dauphins, des bancs de poissons, du plus petit au plus effroyable du monde, une vieille tortue, des oiseaux, des calmars ou de gracieuses méduses, à chaque fois, je me suis adressée à eux avec intérêt, avec déférence. Ici, se respectent et s’achèvent au rythme de ta volonté des milliers d’êtres contribuant au monde, soit de leurs chairs soit de leurs ruses, parvenant à maintenir de justesse un équilibre incertain pour construire cet univers marin auquel je tire aujourd’hui ma révérence.

J’ai eu peur de toi plus d’une fois. Maintenant que je t’aime à ce point, j’ai beaucoup plus peur pour toi que pour ma petite personne bien limitée. J’ai peur pour ton âme, mais surtout pour les hommes de la terre qui dépendent tous de toi.

Promets-moi de bien prendre soin des marins de la planète qui te chevaucheront et qui feront passage en tes eaux. De mon côté je te promets de t’être toujours loyale, de leur parler de toi en bien et de louanger ta beauté, ta discipline, tes couleurs et surtout tes habitants. Je leur dirai que tu es forte, mais très fragile, fière, mais modeste et gracieuse, même si tu es horrible parfois, je te ferai toujours honneur. Je leur dirai que je t’ai pardonné chaque querelle, chaque état. Je prierai mes amis les hommes de prendre soin de toi, pour nous, tous les terriens.

Car nous deux, nous savons bien que peu importe l’issue de notre histoire, malgré mon amour à ton égard, je quitterai ce monde bien avant toi, de vieillesse, de maladie ou d’escapades, comme tous mes frères les humains. À nous seuls, nous t’avons fait bien du mal, tu aurais pu m’en vouloir à m’arracher la vie, mais non, tu m’as laissée passer malgré tes états d’âme les plus redoutables. Pour ça, je te dois tout.

Je leur parlerai de toi, je leur dirai à quel point tu es belle, à quel point on ne se soucie pas assez de ton destin. Je leur dirai que tes oiseaux m’ont fait la cour tous les jours, que ton vent peut être aussi doux qu’un matin de printemps et que ton silence peut faire jaillir les plus vieux souvenirs ensevelis aux confins de nos esprits. Je tenterai de leur partager notre histoire pour les en séduire de toi et les faire t’aimer, t’aimer toujours.

Les humains pourront peut-être comprendre que le mal qu’on te fait, nous le faisons d’abord à nous-mêmes. Car après notre départ et celui des oiseaux, tu continueras à éroder les rochers les plus durs de ce monde, embrasser les berges, tout prendre au passage et arracher bien des arbres. Tu déferleras à jamais en toi-même, tu gronderas et toujours, même si l’Homme n’est plus pour écouter de ses sourdes oreilles, tu feras crépiter l’air à ta surface et ainsi créer le plus beau son du monde, soit l’effervescence de tes eaux.

La dame aux baguettes

 

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